Well, I think that i've gotta go ― Ft. Luisa

♗ **DATE D'ARRIVEE** : 03/03/2023

Well, I think that i've gotta go

Ft.  @Luisa Madrigal 

Ah ! Ironie, quand tu nous tiens.

Tu ne sais pas quoi penser de la situation - vraiment pas. Pour une fois, ce n’est pas une vision. Ce n’est pas un rêve étrange. En fait, ce sont tes souvenirs qui se mélangent et te perturbent. Ca t’est revenu d’un coup, comme un flash, comme une évidence. Certaines choses que tu gardais loin de toi, auxquelles tu ne voulais pas repenser, silhouettes floues et disséminées au gré du vent. Mais la réalité brute est terrible et, face à elle, tu ne peux que te sentir minable. Tu as fui, Bruno, comme un lâche. Derrière toi, tu as laissé ta famille. Tu les revois toustes, maintenant, dès que tu fermes les yeux. Ce n’est pourtant pas ce qui te ronge le plus car, au milieu de ce tourbillon de visages, l’un d’eux se dégage si distinctement qu’il te brûle la gorge. Luisa. Une personne que tu côtoies maintenant depuis des mois et que tu n’as pas eu la décence de reconnaître. Oh, certes, ta nièce a bien grandi, mais elle reste malgré tout ta nièce. Tu lui as parlé, vous vous êtes confiés l’un à l’autre comme deux amis, et tu n’as jamais fait le rapprochement. Pourtant, tout est si clair. Et tu as honte, Bruno. Terriblement honte de toi. Avoir fui ta famille est une chose, ne pas même la reconnaître en est une autre. Car même si tu leur as tourné le dos tu ne pourras jamais (j a m a i s) les haïr - jamais. Au contraire. C’est bien par amour que tu t’es enfui. Pour protéger de toi celleux que tu aimais le plus.

Alors, non, Bruno, lorsqu’est arrivé le jour de votre café hebdomadaire, avec Luisa, tu n’as pas trouvé la force de t’y rendre, de lui faire face avec ce savoir enfoui au fond de toi. Tu n’en veux pas à ta nièce de ne pas t’avoir reconnu - après tout, ici, règne une curieuse malédiction qui arrache aux gens une part de leur identité. Luisa n’est pas en cause - et jamais tu n’aurais pu lui en vouloir. Ce qui te chagrine c’est la manière dont tu ne peux l’aborder. Tu te vois mal jouer la comédie dans une telle circonstance - et même si tu te convaincs du contraire, il faut se rendre à l’évidence, tu ne sais pas mentir. Pas pour des choses aussi importantes. Tu caches, tu dissimules, mais tu ne sais pas feindre une fausse vérité. Comment pourrais-tu lui sourire alors que tu traînes derrière toi cette honte comme un boulet à ta cheville ?
Comme un lâche, donc, tu as fui une fois de plus. Un message envoyé, une excuse toute faite, celles que l’on trouve lorsqu’on est trop embarrassé pour simplement dire “je n’ai pas envie de venir te voir.” Une histoire de boulot, pour la première fois. Une grosse fatigue, pour la deuxième. Un oubli de ta part pour la troisième. Et ainsi s’est écoulé un mois complet sans que tu n’honores vos rendez-vous annulés par messages.

Et là, tu coinces un peu. Normalement, vous êtes censés vous retrouver, et tu ne sais pas quelle excuse manifester, cette fois-ci. Tu as pensé à dire que l’un de tes rats était malade mais tu ne veux pas leur attirer le mauvais œil (toc, toc, toc). Ainsi, tu es bloqué. Et peut-être que tu ferais tout aussi bien de t’y rendre, que ça ne te coûterait rien ; tu es si étrange, Bruno, personne ne verra la différence, si ? Et ce serait pour toi l’occasion de voir Luisa sous un nouveau jour, de t’intéresser à elle comme un oncle s’intéresse aux progrès de sa nièce et non plus comme un ami ordinaire. Oui, tu as beaucoup réfléchi, durant ce mois de silence. Tu en as aussi beaucoup parlé à tes rats, seuls interlocuteurs fiables de ton entourage, ceux qui ne te prennent jamais pour un fou. Tu en es venu à la conclusion que tu ne pouvais pas dire la vérité à Luisa - tout d’abord, tu passerais pour un fou, la pilule serait assez dure à avaler, tu crains de ne pas être cru. Ensuite, Luisa est encore perdue quant à sa propre identité, une quête de soi mise à mal par cet endroit instable. Tu ne peux pas poser ce fardeau supplémentaire sur ses épaules - non, non, non ! En revanche, puisque vous n’êtes ici que tous les deux, il te semble important de devoir veiller sur elle, promesse silencieuse adressée à Julieta. Tu te demandes d’ailleurs comment ta nièce s’est retrouvée ici, elle aussi, ce qui l’a poussé à venir en dehors de ce qu’elle a pu te dire lors de vos échanges autour d’un verre. Était-ce la vérité ou ce qu’elle pensait être vrai ?

Tout est encore flou, mais tu as retrouvé assez de détermination pour faire face à ce que tu as jusqu’alors évité. Tu as toujours terriblement honte de toi mais cette honte ne vaut rien face à tes responsabilités, et la joie sous-jacente de savoir qu’une de tes nièces va réellement bien. Tu aurais tant de choses à lui dire, à elle comme aux autres, et tu chéris les quelques souvenirs que tu gardes d’elleux, lorsqu’iels étaient toustes enfants. Des rayons de soleil à travers une bien morne existence.

Oh, non, tu ne vas pas la rencontrer face à face. Tu as décidé de continuer à faire l’autruche. Et puis, tu ne veux pas que ~~ton don~~ ta malédiction lui porte préjudice - c’est après tout pour éviter de blesser ta famille que tu es parti, tu ne souhaites pas recommencer ici aussi. En revanche, oui, tu comptes veiller sur elle - de loin, seulement. Tu t’assureras discrètement qu’elle va bien, qu’elle ne manque de rien, qu’elle est heureuse et en bonne santé, entourée de ses colocataires. Voilà ce que tu feras, sans t’impliquer. Une énième annulation à venir, donc, et tu songes qu’il te faudra mettre un terme définitif à tout ça. Au fond, tu en es un peu triste, tu te réjouissais toujours de ces rencontres, de vos discussions légères et confortables - tu avais l’impression, peut-être à juste titre, qu’être toi-même était tout à fait possible en sa compagnie.

C’est un mal pour un bien.

Tu lâches un léger soupir et attrapes les cartons qui sont devant toi depuis dix minutes. Tu es encore au travail pour l’instant, alors pas de panique. Chaque chose en son temps. Tu travailles toujours à mi-temps à l’université comme homme à tout faire et, à côté, tu as également trouvé un petit emploi dans une supérette ou tu te contentes de gérer les stocks et la mise en rayon. Tu aimes ce genre de boulot presque invisible. Cela te correspond et te plaît.
Tu poses les cartons dans le chariot que tu pousses à travers les allées. Le magasin est ouvert depuis quelques heures, déjà, donc il ne faut pas traîner. Tu ouvres l’une des boîtes et en sort les boîtes de céréales pour les ranger au bon endroit, à côté des autres. Tu fais cela avec d’autres produits, les cartons sous le bras.

Le destin te déteste sans doute particulièrement.

Car c’est Luisa qui te fait soudain face alors que tu te retournes. Cette confrontation incongrue, imprévue, te fait sursauter et tu lâches tes marchandises emballées qui tombent au sol. Tu clignes des yeux à plusieurs reprises avant de lever la main dans un petit salut timide et maladroit.

“Ahaha, salut, salut…” articules-tu en lâchant un petit rire. “Je ne m’attendais pas à te croiser entre des boîtes de thon et des pots de mayonnaise.” essaies-tu de plaisanter avant de te baisser rapidement pour ramasser ton carton. Que dire ??!! Tu restes agenouillé sur le sol un instant avant de te redresser et de sourire à nouveau. “Je ne savais pas que tu venais faire tes petites courses ici. Ahah ! Heu… Eh bien…. Tu cherches quelque chose ? Entre nous,” souffles-tu sur le ton de la confidence, “je te déconseille les chips au fromage, elles ont vraiment un rôle de goût mais, oh, bon, il en faut pour tout le monde, j’imagine.” Tu hausses les épaules et conclues votre petite conversation. “Bon, eh bien, bonne journée, c'était chouette de te voir !”

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