Ptdr t’es qui ? est la première question qui me vient en tête. Cependant, la surprise passée, elle ne me paraît pas hyper adéquate. Ptdr qu’est-ce que tu fous là ? est déjà plus appropriée. Parce que ce beau gosse un peu trop propre sur lui à mon goût, je le connais. Je crois. Un visage pareil ne s’oublie pas, pour une raison ou pour une autre. Moi je le trouve sexy, mais pas autant que Jimmy boy. Je rougis en y repensant.
Je connais monsieur BG, donc, parce que je l’ai croisé quelques fois en allant à l’hôpital côté psy. Ça faisait un moment que je ne l’avais pas vu, d’ailleurs. Parce qu’il est sorti, grand bien lui fasse, mais s’il pouvait aller s’asseoir ailleurs, ça m’arrangerait ? C’est pas lui que j’attends. En fait, ça fait trop longtemps que j’attends, il va falloir que je me rende à l’évidence : mon amie m’a oubliée. Ça où elle a eu un empêchement. Je suis prise d’une folle envie de vérifier si elle ne m’a pas envoyé un message, mais j’aurais dû y penser plus tôt, non ? Là, si je vérifie que je n’attends personne sous ses yeux, ça passerait pour quoi ? Une invitation ? D’un autre côté, il s’est invité tout donc bon…
Foutue pour foutue, je jette un coup d’œil à mon téléphone et vois qu’en effet, mon rendez-vous originel tombe à l’eau. Est-ce que j’en veux un nouveau ? J’ai rien à lui dire à ce monsieur. Ce n’est pas très sociabilisation friendly et ça serait une jolie chose que de réussir à improviser sur une situation aussi inattendue. Tsss. J’aime mon confort, mes habitudes et mes rituels, pas… ça ! Je sais que tout ce que je pense si lit sur mon visage avec une facilité étonnante alors je toussote et jette ma tresse brune par dessus mon épaule pour me donner une contenance. Ou alors j’ai juste l’air méprisante. Je suis tellement prise de court que je ne sais même plus et très honnêtement : je m’en fiche un peu. Socialisation, Jinx, socialisation.
Incapable d’esquisser le plus petit des sourires, je lui tends la main droite par dessus la table. J’aurais pu me contenter d’un bonjour, mais la formalité me paraît de mise. Pour ce que j’en sais, il s’est peut-être échappé de l’hôpital et n’a que des intentions malhonnêtes. S’il s’est assis en face de moi, peut-être qu’il s’est dit : oh, je la connais cette folle, j’ai fouillé dans son dossier parce que je suis un psychopathe talentueux et je sais qu’elle n’a pas de famille, avec un peu d’espoir, personne ne viendra la chercher si elle finit dans une cave avec des rats plus gros qu’elle et une tuyauterie qui fuit. Psychopathe et espoir, je ne sais pas si ça va ensemble, mais bref, il est peut-être très gentil le monsieur, mais les inconnus ne m’inspirent aucune confiance. Il a même l’air pas méchant – gentil c’est un peu abusé – mais c’est pire, plus facile de cacher les cadavres derrières un joli sourire.

« Lola. » Je m’enfonce un petit peu dans ma chaise. « Je crois pas qu’on se soit un jour rencontrés officiellement. »

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Il compte rester en plus ? Send help. Personne ne prend un verre au resto pour le reposer après et repartir. C’est sale. Après c’est peut-être un cochonnou, pour ce que j’en sais. Un cochon psychopathe. Enver ? S’il est méchant j’aurais un prénom à blâmer en plus de son petit visage. Est-ce que c’est vraiment son vrai nom ? D’un autre côté, je n’ai rien à dire là-dessus, parce que Lola, ce n’est pas trop la vérité non plus. J’ai décidé que je préfère Lola à tout ce qui se bouscule dans ma tête, parce que Lola ne m’inspire aucune violence. C’est un nom creux, un nom calme, pas comme Jinx ou Powder qui m’effraient et me hantent d’une manière que je ne saurais expliquer. Est-ce que je pourrais continuer à m’appeler Lola, même si je retrouve la mémoire ? Même socialement, puisqu’on est ici pour sociabiliser, ça sonne pas bien de se présenter comme Jinx. Bonjour, je porte la poisse, enchantée. Je vais rester Lola. C’est pas vraiment mieux, d’un certain côté, parce que Lola c’est le diminutif de Dolores, donc la douleur. Je suis une ambiance j’vous jure.
Bref. Je hausse les épaules en essayant de deviner où il veut en venir avec un sourire aussi charmeur.

« Comme tu veux. On est cinglés tous les deux, alors la familiarité ? Tant qu’on se montre pas dangereux on fait un peu ce qu’on veut, non ? »

C’est criminel d’autant papillonner des cils, faudra que je le lui dise à un moment. Je n’imagine pas où nous amènera cette familiarité mais au moins, il a des beaux yeux. Changeants, ce qui a le don de m’intriguer. Il a l’air de changer d’humeur comme de chaussettes. Est-ce que c’est pour ça qu’il était à l’hôpital ? Troubles de l’humeur ? C’est un sujet ça ? Je suis hyper nulle pour trouver des sujets de conversation et ça a l’air trop tôt dans notre merveilleuse relation pour ça. Trop personnel, trop profond. Bon, je vais répondre à ses questions déjà et on verra. Mais est-ce qu’il prendra ça comme une invitation, comme une volonté de ma part de rester ensemble toute la soirée ? Rah ! J’ai l’impression qu’à trop réfléchir, je vais forcément me faire des nœuds au cerveau et que je vais rater mon objectif de base : je sors pour sociabiliser. Alors je me force à rigoler à sa réflexion.

« Pas plus que de s’asseoir sans me demander mon avis, mais quitte à y être ensemble, autant le rester. J’attendais une amie, qui ne viendra pas. » Je fais une grimace. « Donc j’imagine devoir te remercier pour me permettre de ne pas me sentir ridiculement seule, ou est-ce que je devrais prendre peur ? »

J’espère que j’ai l’air aussi amusée qui lui et qu’il ne pense pas que j’ai vraiment peur. C’est un peu des deux. Heureusement pour mes apparences peu assurées, un serveur moins mignon qu’Enver et bien moins que Jim vient prendre notre commande.

« Un thé glacé, s’il vous plaît. » Un peu comme un miroir, je papillonne à mon tour des cils vers mon nouvel ami en me sentant parfaitement ridicule. « C’est moi qui invite ? Pour te remercier de m’accompagner ce soir ? »

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Est-ce que c’est correct de faire ça ? Parce que quitte à aller prendre un verre avec un garçon, j’aurais autant aimé que ce soit Jim ? Et Jimmy Boy ne fait pas peur. Enver ? Tout de suite un peu plus. J’dois pas non plus être son choix de prédilection, sauf si c’est vraiment juste un fou furieux qui aime se poser aux tables de toutes les petites meufs qu’il croise juste pour les faire flipper – pour le côté hôpital psy, pas besoin de spéculer, je sais qu’il en sort. Avec son sourire faussement angélique là. C’est cramé qu’il cache un truc, je sais juste pas quoi. Ou peut-être qu’il garde juste ‘’les apparences’’ en société, puisque si quelqu’un nous entend discuter psychiatrie y’a fort à parier qu’on sera regardés de travers ? C’est complètement con, si vous voulez mon avis, parce que tout le monde sur cette île de merde mériterait un psy, mais bon, que voulez-vous. La psychiatrie fait peur. Même lui, il joue sur les clichés. « Fous furieux ». Y’a pas que des fous furieux en psy, mais je vais pas commencer à pinailler et à défendre la psy. J’ai remarqué que plus les gens catégorisés comme « fous » essaient d’ouvrir le débat, plus on les considère comme des fous. En général, ces clichés font mes affaires, mais lui, il a pas l’air rebuté pour un sous. Ça serait le comble, il a pas intérêt.
Je hausse finalement les épaules. Qui paie, qui paie pas, dans le fond j’m’en tape comme de ma première chaussette. Je sais même pas si je portais des chaussettes avant d’arriver dans ce bled pourri alors comment vous dire, je peux même pas en avoir quelque chose à faire. En revanche, la raison qui l’a poussé à notre table commune me fait exploser de rire. C’est pas une raison de fou furieux ça, c’est une raison… de victime ? Pas victime dans le sens être passif qui se fait marcher dessus, non, plus une victime d’un bon gros psychopathe. J’veux dire… Une réservation à son nom ? C’est quel genre de traquenard, ça ?

« ça sonne définitivement comme un piège, ton histoire. T’as de la chance de pas avoir fini à l’arrière d’une camionnette cheloue. Et je ne t’explique pas la suite. »

Genre une cabane sordide dans les bois et autres détails peu encourageants. Et oui je reprends ses expressions, c’est un élément de langage pour faire croire aux gens qu’on les écoute avec attention. Après, je suis persuadée qu’il a son petit côté fascinant qui mérite d’être réellement écouté, pas juste de faire semblant. Peut-être le genre de gars dont la vie entière est une série et qui, tous les quatre matins, à quelque chose d’exceptionnel à raconter. Vraiment exceptionnel, pas Lola’s tier d’exceptionnel : « j’ai réussi à sortir du lit ptdr ». Se faire kidnapper parce qu’on est trop crédule, c’est tout de suite plus sensationnel… ouais en fait ça pourrait m’arriver aussi, je pense.

« Oh mais je sais pas vivre correctement en société, c’est là toute la subtilité. Et toi non plus, sinon tu fixerais pas ce gamin comme si sa tête allait finir dans l’aquarium. Mais l’arrière d’un fourgon de police compte comme une camionnette, je suppose ? »

Je rigole d’un rire peu rassurant et m’enfonce dans mon siège.

« Je taffe dans un garage et je fais des études en chimie, au cas où quelqu’un se soit dit que c’était une bonne idée de me laisser exploser tout plein de trucs. Et toi ? Oh, non ! Laisse moi deviner. Soit quelque chose de bien sexy, genre stripteaser ou escort pour aller avec ta jolie gueule, ou un truc parfaitement inattendu et rébarbatif en 9 – 17 parce qu’il faut bien manger. Uhm uhm uhm. Archiviste ? Des ptites lunettes t’iraient pas trop mal, cela dit. »

Uhm. Il ressemble pas trop à Germaine de Monstres et cie, mais inattendu, j'ai dit.

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