We'll meet again... Some sunny day
Rosie & Alastor
Tenu de mon grand âge, une plaisanterie qui, tu en es certain, cache une vérité tue. Tu ne fais pour l’instant aucun commentaire, l’esprit assailli par d’improbables possibilités. Des possibilités qui remettraient en perspective ta vision même de la vie - es-tu prêt à l’accepter ? Tu ne sais pas quel genre d’homme tu as un jour été, mais il te semble que
raisonnable, ou en tout cas
pragmatique est un terme qui devait bel et bien te qualifier. Alors songer seulement à la possibilité que des
siècles pourraient ici passer sans qu’une seule ride ne soit prise ? Ramène-t-on les gens à la vie ? Êtes-vous les sujets d’une bien curieuse expérience ? Possible. Possible mais complètement dérangé.
Sa notion de fragilité, en revanche, te surprend. Tu n’as jamais eu l’impression d’être faible, pas dans ce sens là, en tout cas. Mais tu crois comprendre la logique qui l’anime, cette inquiétude presque touchante qui la caractérise à l’égard de celui qu’elle a un jour connu. Tu secoues doucement la tête, un léger sourire accroché à tes lèvres.
« Ma chère, je ne pense pas être fait de ce bois-là, mais je vais m'aligner à ton jugement. J’ai l’impression que bien des secrets sont dissimulés derrière ce que tu tais, mais j'accepte les conditions de cet arrangement et je me montrerai aussi patient qu’il le faut. » Pour arriver à tes fins, tu sais calmer tes attentes, tu sais te montrer raisonnable, tu sais quand il ne faut pas pousser, précipiter les choses. En l’occurrence, tu préfères laisser ce petit contrôle entre les mains de Rosie pour qu’elle prenne, elle aussi, le temps d’assimiler les faits. Car il ne s’agit pas que de toi, pas seulement de te préserver, n’est-ce pas ? Elle aussi doit réfléchir. Elle aussi est en train de prendre un risque. Pense-t-elle que tu pourrais ne pas croire certaines révélations et la laisser en plan, lui tourner le dos sans plus de cérémonie ? Elle est ce qu’il y a de plus proche de la vérité, pour toi, elle détient des réponses - et tu es persuadé qu’elle ne te ment pas. Alors, même si certains mots seront probablement difficiles à entendre, difficiles à avaler, en aucun cas tu ne pourrais te détourner de ce que tu as si longtemps recherché. Aucun visage n’a le sien, dans tes souvenirs vierges, mais cette familiarité, ce lien ténu qui existe bel et bien entre vous, n’est pas une chimère. C’est auprès d’elle que tu pourras reformer le magma de tes souvenirs éparpillés.
Vos mains ainsi serrées pour conclure votre accord, la discussion revient à des notes plus légères, plus candides, comme deux anciens amis qui se retrouveraient enfin pour aller danser ensemble. Abandonnant le calme de la nuit pour revenir au cœur d’une fête chaleureuse, vous avancez ensemble, d’un rythme similaire, jusqu’à la piste de danse. Autour de vous, les personnes s’amusent, rient, discutent ; un brouhaha agréable, une plénitude qui ne dérange pas votre propre existence au milieu de cette foule. La musique de retour, tu l’invites à danser avec élégance et glisses tes mains contre sa taille. C’est avec naturel que vos pas battent le rythme de la chanson, si précis l’un et l’autre que tu es persuadé que cet instant ne vous est pas étranger. Tu visualises fort bien une autre version de toi même, cet Alastor que Rosie espère tant retrouver, et la manière dont elle et toi avez pu devenir amis. Tu ne sais rien d’elle, pour l’instant, et il est bien trop tôt pour parler de confiance, mais tu ne peux nier les quelques indices éparpillés ici et là. Tu notes d’ailleurs la manière dont Rosie change, au fil de votre danse. La manière dont son visage s’ouvre, dont son regard brille davantage sous son sourire délicat, et tu supposes que les perspectives lui sont certainement moins lourdes à porter maintenant que certaines choses ont été dites, qu’elles ne restent ni secrètes ni grossiers mensonges.
Au fil de vos pas, de ce duo sans doute un peu trop élégant, au milieu de ceux simplement venus s’amuser, la foule s’écarte jusqu’à former, autour de vous, un petit cercle de spectateurs. Finalement, ce moment prend fin, et le beau monde retourne à ses activités. Tu ne peux t’empêcher de sourire un peu plus, derrière cette courtoisie dont tu fais preuve. Attirer l’attention est quelque chose qui t’a toujours galvanisé, qui te plaît bien, et tu te demandes si tel était aussi le cas d’Alastor. Il serait intéressant de faire la liste des points qui vous ressemblent et de ceux qui ne vous ressemblent pas. Une étude sociale que tu es prêt à mener sur toi même - on ne se connaît jamais assez, après tout, et il serait dommage que tu deviennes ton propre ennemi.
« Je te retourne le compliment, très chère Rosie, ton pas est léger, souple, et tu as le sens du rythme : c’est sans équivoque. » il est facile de complimenter une si talentueuse cavalière, tu n’as pas besoin de feindre, pas besoin de jouer les flagorneurs. Un rire t’échappe alors qu’elle accepte ton invitation.
« Il est vrai, mettons tous les efforts de notre côté pour ne pas décevoir tout ce beau monde. » Décidément, ce brin de jeune femme te plaît ; elle sait comment parler, et ses plaisanteries sont toujours très élégantes. Il y a quelque chose de vrai, de fort et de puissant, chez elle, comme un parfum où se mélangent d’attirantes odeurs. Tu es alors persuadé d’une chose : Rosie est une femme qu’il vaut mieux avoir de son côté. Tu gardes cette pensée bien en tête en lui tendant une coupe de vin - un Gramona Imperial, étant donné sa couleur dorée et son goût velouté. C’est alors que tu lui poses ta première question, celle qui te semble importante, un point de départ à peine effleuré, quelques minutes plus tôt, alors que vous étiez encore dehors. Cette pensée n’a cessé de tourner dans ton esprit, et tu dois en avoir le cœur net pour ne pas te tromper de direction, pour savoir sur quel pied danser.
Contrairement à ce que tu aurais pu penser, la réponse ne tarde pas à te parvenir, comme si elle s’y attendait. Attentif, tu écoutes ses explications. Lorsque la date de votre rencontre est donnée, ton sourire vacille légèrement, comme la flamme d’une bougie sous un trop grand courant d’air. Tu n’avais donc rien imaginé. Si ce qu’elle dit est vrai, si tu n’es pas en train de te faire embobiner par Dieu sait qui, alors cet endroit est décidément
louche. Tu aurais donc, selon tes calculs, plus de cent ans - et elle aussi. Tes yeux se posent sur ton verre de vin. La réalité te semble soudain moins distincte, distendue.
Ah ! C’est ce dont elle parlait, tout à l’heure ; de ton esprit fragile. Tu fais un effort considérable pour garder ton sourire, pour dissimuler ton trouble derrière ce que tu as toujours pris pour une armure. Il est si facile de dissimuler ses pensées, ses troubles, ses états d’âmes derrière ce qui, socialement, est un synonyme d’allégresse et d’amusement.
« Ah, je vois. Je me rappellerai de ne pas prendre tes plaisanteries à la légère, » dis-tu d’un ton badin. Peut-être que certaines vérités se cachent au fond de ses mots, que d’autres faits seront dissimulés, lâchés sans arrière pensée. Tu seras attentif.
« 1924, donc, » répètes-tu en testant la prononciation de cette année sur le bout de ta langue.
« Ce qui nous amène cent ans plus tard, ici, aujourd’hui. Je doute qu’il s’agisse d’un hasard. » Si toutefois cela est bien vrai. Tu as toujours soupçonné cet endroit d’être étrange, de cacher bien des choses au commun de mortels que vous êtes. Il y a toujours eu anguille sous roche. Tu ne connais rien de Rosie, elle pourrait très bien avoir été envoyée vers toi pour une quelconque expérience mais tu choisis pour l’instant de la croire - car tu n’en as pas vraiment le choix, tu ne peux que t’armer d’un brin de méfiance.
« J’ai toujours su qu’il y avait ici quelque chose d’étrange … Et cela pourrait expliquer une ou deux choses, j’imagine, » comme le fait que tu sois si réticent vis à vis des nouvelles technologies que tu juges inutilement compliquées pour pas grand chose. « Admettons, donc, que ce soit vrai. » acquiesces-tu.
« La question qui va suivre n’a rien à voir avec notre arrangement mais … Que pensez-vous de cet endroit ? De Staten Island. » tu changes complètement de sujet, mais cela suit la lignée de tes réflexions.