S’il y a bien une chose qu’on ne peut pas nier à propos de Charlotte Morningstar, c’est sa propension à vouloir soulever des montagnes pour aider autrui même si ça implique de piétiner sur sa propre personne. Parce qu’en effet, on peut se questionner sur son sens de l’intégrité, défaillant depuis la naissance. Or, d’un autre côté, beaucoup remettent aussi en question la légitimité de ses bonnes actions : le fait-elle par réelle bonté de coeur ou par pur survivor guilt, entièrement consciente de ses privilèges en tant que princesse de l’Enfer, et, maintenant, en tant que personne gagnant assez bien sa vie ? Quoiqu’il en soit, on s’en fiche un peu, non ? Le résultat est le même, peu importe la motivation intrinsèque, et tout le monde est heureux (non). Bref. N’ayant plus l’hôtel entre les pattes, Charlie s’est tournée vers diverses missions sociales et organismes nécessitant son aide de bénévole un peu trop motivée. À un point tel qu’en dehors de ses heures de travail à l’hôpital, elle n’a presque plus de temps libre (mais ça en vaut la chandelle, qu’elle justifie toujours avec un grand sourire et des iris brillants).

Quand elle avait appris que les commerces JETAIENT de la nourriture ENCORE COMESTIBLE, nom de Lucifer, la colère lui est montée jusqu’au cuir chevelu et, si elle avait encore pu prendre sa forme de démoniaque, certaines âmes auraient regretté leur naissance. Et voilà un peu pourquoi l’ex-princesse de l’Enfer se retrouve à cheval sur le rebord du conteneur à déchets vert forêt, cherchant un endroit où poser le pied pour y entrer sans tomber ou salir ses chaussures. Une fois la mission accomplie, la jeune femme plonge ses mains dans quelques sacs plus ou moins crades à la recherche de denrées qu’elle pourrait offrir aux sans-abris (sans les insulter indirectement, on espère), non sans tirer quelques grimaces de dégoût dans le processus, dont une à l’intention d’un raton-laveur qui l’observe s’exécuter, à mi-chemin entre la fascination et le jugement. « T’inquiètes pas, raton, j’viens pas te faire compétition. Laisse-moi seul—... Eeeew.  », qu’elle couine en laissant tomber un sac à ordures dégoulinant autant d’un liquide non identifié que d’asticots, frottant frénétiquement ses mains sur sa robe, le regard rivé sur l’animal qui semble soudainement se moquer d’elle.

Alors qu’elle tente tant bien que mal de ressortir du conteneur, dépassée par le raton qui s’évade lui-même en deux ou trois sauts, une voix familière la surprend. Heureusement, elle parvient à s'agripper à temps au rebord avant de se retourner vers celle qui l’interpelle. Ses yeux s’écarquillent lorsqu’elle remarque le couteau ensanglanté. Serait-ce la fin ? Après, si ça signifie “possibilité de rentrer en Enfer”... « J-je… pense qu’on peut régler ça autrement, non ? Avec des mots, peut-être. Autour d’un verre. Ou d’un thé, si vous préférez. Eheh…», elle dodeline de la tête, un grand sourire et un thumbs up pour accompagner ses paroles. En voyant que la bonne dame n’a pas l’air de vouloir se jeter sur elle pour la transformer en pâté à la viande, ses épaules se détendent au point même d’en oublier son pied qui s’enfonce de plus en plus dans un sac poubelle tout mou. « En fait, j’me disais que c’est dommage de laisser des choses encore très mangeables partir à la décharge alors que plein de gens mangent pas à leur faim, vous savez.. J’savais pas trop par où commencer, j’suis pas très experte en poubelles, mais comme la nourriture a l’air bien ici, j’me suis dis “pourquoi pas”. J’comprends “pourquoi pas” maintenant, mais... », qu’elle lâche un peu trop vite, comme une môme prise la patte dans le sac.

Puis, quand elle lui dit son nom, ça sonne une cloche dont elle ne saisit pas encore totalement la signification, comme s’il lui évoquait des souvenirs encore un peu flou. Elle plisse les yeux, alors qu’elle finit enfin par sortir de la poubelle, regagnant la terre ferme et propre. « Rosie ? », qu’elle souffle, un peu pensive. Ça ne veut sûrement rien dire, c’est commun comme nom, sûrement.  «Moi c’est Charlie ! Je m’offre pour vous débarrasser de vos pertes alimentaires, alors si vous voulez bien vous prêtez au jeu, ce serait très aimable. », propose-t-elle, tendant la main et battant presque des cils, comme si elle tentait de l’amadouer pour la rallier à sa cause.