Quelle idée de génie d’avoir commencé à travailler dans un garage. Non seulement elle avait l’impression de passer son temps à jouer, mais elle avait gagné le droit de faire n’importe quoi dans les domaines qui l’intéressaient. La mécanique, en ce moment. AH BON ? Personne n’aurait deviné. Grâce à son travail au garage, l’argument « c’est pour le travail » lui offrait un passe-droit exceptionnel dans la casse du coin. Toute cette taule froissée et ces système électroniques hors d’usage avaient sur elle leur petit effet hypnotique. Des heures durant, elle pouvait traîner dans ce cimetière de voitures sous prétexte de chercher un rétro pour une réparation quand elle ne travaillait pas. Le mec de la casse n’en savait rien, lui.
Depuis qu’elle venait traîner ici, elle s’était trouvé une petite voiture dans un état pas si déplorable qu’elle essayait de retaper illégalement et en… l’améliorant un peu. Elle aurait pu la sortir de la casse et travailler dessus au garage, mais cette idée lui donnait l’impression d’avoir trouvé un chaton abandonné et de devoir aller supplier son père de la laisser l’adopter. Jack n’accepterait sans doute pas qu’elle commence à ramener au garage tous les cadavres de voiture qui lui faisaient de l’œil, autrement ils n’étaient pas sortis des ronces. Toutes les voitures l’attiraient. Pas tant le principe de la voiture (si elle voulait rouler elle faisait des roulades) que tout le fonctionnement du tintouin. Parce qu’il y avait quand même un con qui un jour s’était dit que c’était une bonne idée d’assembler une tonne de métal sur un truc qui risque d’exploser et de vendre ça au calme à absolument tout le monde. F*cking genius. Ou un gros sociopathe, mais il n’était plus là pour constater les fruits de son œuvre. Ou un mec qui voulait flinguer la planète. Lui, il avait fait une alliance avec le gars qui avait inventé les avions, la déforestation, l’élevage intensif et le minage des fonds marins (c’est pas forcément le même qui a inventé les trois, vérifiez si ça vous chante). Tout ça pour dire : les voitures, c’est cool, ça a du potentiel, mais si mal exploité ! Alors non, elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle cherchait à faire de sa voiture.
Jinx sursauta en entendant une voix derrière elle. « Qu’est-ce que ? », c’était la bonne question, dude. Qu’est-ce qu’il lui voulait, ce monsieur familier ? Ah, ils se connaissaient de la fac. Il avait l’air d’en tenir une couche, celui-là. Qui de sain d’esprit se planquait dans une décharge pour le bon plaisir de ne pas faire de bruit ?

« Tu viens cacher un cadavre ? », demanda-t-elle un peu trop spontanément en baissant la voix.

Elle ne voyait pas d’autres explications à ce qui aurait pu le pousser à tenter de se faire discret dans une décharge et à passer par des passages secrets. Des trucs à récupérer ? Mais il n’avait pas besoin d’être discret pour démonter un moteur ! C’était même un peu contre-instinctif. La mécanique ça fait du bruit, première loi de la méca. Il venait récupérer quoi ici ?

« Tu sais que la marijuana c’est légal, dans ce pays. »

Ouais, ça devait être la drogue, non ? Les décharges se prêtaient un peu trop à tout ce qui se faisait d’illégal, surtout quand le gars lui racontait emprunter des passages secrets pour entrer.

« Je suis entrée, genre, tu sais, par le portail ? On est pas tous ici pour commettre un crime, bro. »

Non, elle ne se sentait pas particulièrement menacée. Elle avait des outils pleins les poches et surtout une clé anglaise dans la main.

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Elle pouffa. Il en avait, de l’imagination, et il était légèrement dramatique, comme garçon. Pour qu’elle en vienne à dire ça, il devait vraiment en tenir une bonne couche. Mais bon, au moins avait-il l’air trop doux pour être un criminel en puissance. Râleur, boudeur peut-être, mais gentil. Sa main se desserra un peu autour de sa clé anglaise. Il craignait trop la prison pour faire quoique ce soit de trop risqué, quand elle avait une petite place toute trouvée dans sa petite prison hospitalière. Là-bas, elle avait la clim en été et le chauffage en hiver. S’ils se retrouvaient un peu trop dans la panade, elle lui recommanderait de plaider la folie.

« Si c’est pas toi le danger, on risque rien, vraiment... », commenta-t-elle en regardant la voiture qu’il trafiquait avant son arrivée.

Même le vieux qui gérait la casse ne lui faisait pas peur. Il était désabusé, paternaliste, certainement très énervé de voir toujours les mêmes gamins squatter sa casse comme si c’était un parc d’attraction, mais hey ! Chacun ses goûts, sans doute elle et Jim se seraient emmerdés comme des rats morts à Disney World – de toute façon, ils n’avaient même pas le droit d’aller à Disney, parce que pas le droit de sortir de l’île gneugneugneu. Okay, rien que pour ça, elle avait un peu envie d’aller à Disney. Elle voulait faire tout ce qu’elle n’avait pas le droit de faire, là où on lui interdisait d’aller et ce à des heures criminelles. Si elle faisait assez de vagues, peut-être un ami, un parent la reconnaîtrait dans la rue ? Si elle taguait son nom sur tous les murs de la ville ? Malgré toute l’horreur de ses souvenirs flous qui lui revenaient très progressivement, il devait bien exister une personne qu’elle pouvait serrer dans ses bras et auprès de laquelle elle pouvait se sentir en sécurité ! Allez, un peu d’optimisme, pour une fois ; si elle réussissait ici à se faire quelques amis, elle devait en avoir d’avant. Mais réussissait-elle seulement à se faire des amis, où les gens étaient-ils gentils avec elle parce qu’elle leur faisait pitié.

Tu fais pitié, c’est pas la question.

Jinx-Lola, Lola-Jinx secoua la tête de droite à gauche. Elle ne faisait pas que pitié. Les gens pouvaient l’aimer pour ce qu’elle était. Ce garçon par exemple – Jim, autant commencer à l’appeler Jim – ce garçon serait son ami parce qu’il apprécierait… sa lumineuse présence et sa clé anglaise. Ouais, y’avait des progrès à faire là-dessus – la présence, pas la clé anglaise, parce qu’à moins de la pimper en la laquant en plaqué or, une clé anglaise, c’est une clé anglaise.

« Tu fais beaucoup de promesses, Jimmy », releva-t-elle en haussant un sourcil. « T’es sûr de pouvoir toutes les tenir ? »

Elle parlait plus seule à voix haute qu’à Jim. On avait dit amis, Lola. Certes, les belles promesses étaient le fondement même du discours de tout bon arnaqueur, mais « promis » sonnait davantage comme un élément de langage que comme une véritable promesse. Jinx n’aimait pas quand les gens mettaient trop de mots dans une seule phrase. Ça rendait le sens des phrase confus et difficilement compréhensible – oui, elle osait dire ça, elle. Jinx fronça les sourcils et réfléchit quelques instants. Dire aux gens qu’elle ne les comprenait pas avait le don de les énerver, souvent. Alors, elle pouffa de nouveau et tenta l’humour :

« Tu veux ma clé anglaise et m’amener dans une cabane dans les bois ? Tu fais un cluedo géant ou tu tiens vraiment à finir en taule ? JE PLAISANTE, panique pas. »

Elle haussa les épaules, s’approcha et rouvrit le capot qui ne fermait plus vraiment.

« C’est chiant à trouver, des panneaux photo tout ce que tu veux. Si c’est de l’électricité qu’il te faut, t’emmerde pas, prends les batteries des voitures ? C’est pas parce qu’elles sont pas électriques qu’elles sont pas électriques… Si, mais t’as compris. La batterie, c’est toujours un courant électrique pour allumer n’importe quelle voiture. Tu le vois comment, ton surf ? »

En parlant, elle traficotait tranquillement l’intérieur du moteur et lui en sortit une batterie couverte de câbles.

« D’accord, peut-être pas cette batterie, elle a l’air trop vieille et morte. Mais toutes les voitures ne sont pas là pour des problèmes de batteries. De l’électrique en veux-tu en voilà, tu vas trouver, mais les panneaux photovoltaïques, ça serait le miracle de la vie des robots. On est dans une casse, pas à Leroy Merlin. »

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Merlin ? Mais qu’est-ce qu’il venait faire là-dedans lui ? Aux dernières nouvelles, c’était un sorcier dans une légende avec un roi, un rocher, une épée et une table ronde (elle avait pas tout compris dans cette histoire, par exemple l’utilité de préciser que la table était ronde ou ce que venait faire un caillou au milieu). Alors pourquoi il lui parlerait de Merlin au milieu d’une casse ? Aussi incohérent qu’une épée dans un caillou pour devenir roi. Peut-être dans une autre version il fallait devenir roi de la casse en trouvant un panneau solaire dans un cadavre de voiture… AH ! CE MERLIN ! C’est bon, elle avait compris, avoir l’avoir regardé quelques secondes avec les yeux de celle qui s’inquiète pour son cerveau déconnant. Non non, c’était toujours elle qui déconnait finalement. Bref, encore quelque chose dont elle ne se vanterait pas. Le surf solaire, ils étaient là-dessus !
Une planche à voile solaire, donc ? Whaaah, il en avait de l’ambition ! (Disait celle qui essayait de faire un robot pour modéliser les pensées.) Ça sonnait bien, comme il le présentait, ça secouait les méninges de Jinx. Ça serait beaucoup plus facile que de prendre le bus, pour aller à la fac où à l’hôpital. Mettre un pied devant l’autre était d’un ennui mortel, alors que surfer sur une planche à voile solaire ? Un peu plus vendeur. Elle pencha légèrement la tête sur le côté, intéressée. Dis-m’en plus, demanda-t-elle avec les yeux.

« Tout est faisable, en théorie », réfléchit-elle à voix haute.

Il ne lui avait pas proposé de construire ce surf solaire avec lui, mais face à une telle idée, elle ne savait empêcher ses neurones rebelles d’imaginer ce qu’ils voulaient imaginer. Peut-être aussi parce que sans savoir pourquoi ni où, elle avait l’impression d’avoir déjà entendu parlé d’un projet pareil. Elle aurait oublié en avoir déjà discuter avec lui ? Non, sinon lui s’en souviendrait. Certes, elle avait des problèmes de mémoire, mais Jim s’était bien souvenu de son visage, alors il se serait souvenu d’une précédente discussion, surtout sur un sujet qui avait l’air de l’animer autant. Roh bref, c’était pas le sujet ! Elle n’allait pas commencer à s’attarder sur un sentiment de déjà-vu alors qu’elle n’avait plus qu’un objectif : réussir à lui faire accepter de la laisser travailler avec lui.
Comment on pouvait fabriquer ça, une voile solaire ? Déjà dans le nom, impliquer des panneaux photovoltaïques tels quels sonnait mal. Une voile solaire, il fallait que la voile soit solaire, non ? Installer les panneaux ailleurs que sur la voile limiterait de trop les apports énergétiques, donc plus moyen de faire flotter la planque. Aussi, il fallait avant tout trouver un moyen de faire flotter la planche. Tellement de travail, d’éléments à trouver, de mystères à décortiquer. Il fallait qu’elle note tout, sans quoi elle allait perdre ses idées. Elle ouvrit son sac à la recherche de son carnet qui lui servait à noter absolument toute sa vie, de son emploi du temps de la fac aux équations de trois pages de long qu’elle ne parvenait pas à résoudre mais qu’elle refusait d’abandonner. Elle sentait bien qu’elle le pouvait, qu’elle avait l’intelligence pour. Elle se sentait limitée, dans ses moyens et sa créativité, mais comme elle avait déjà fait d’immense progrès, elle n’abandonnait plus rien, se notait juste quelque part de continuer quand elle se serait dérouillé l’esprit.
Au moment où elle mit la main sur son carnet, elle se sentit bête. Elle n’allait pas commencer à noter des trucs maintenant, sous son nez, sans parler, alors qu’il ne voulait peut-être pas d’elle dans ses pattes ? Mais s’il ne tolérait pas sa présence, il ne lui aurait pas expliqué comment il comptait faire son surf ! Il était peut-être juste poli. Après tout, beaucoup de gens étaient juste polis avec elle, souvent parce qu’ils la trouvaient gênante. Ses épaules s’affaissèrent et elle relâcha sa prise sur son carnet, fit semblant de n’avoir ouvert son sac que pour y reposer la clé anglaise.
Sa tresse tombait dans son sac quand Jim reprit la parole. Lui filer un coup de main ? Elle releva brusquement la tête, envoyant sa tresse valser… dans la tête de Jim.

« OH, pardon ! », couina-t-elle.

Voilà, il reviendrait sans doute sur sa proposition maintenant qu’elle l’avait frappé. Mais c’était non intentionnel ! Elle rougit et commença à se tordre les doigts.

« Désolée, j’ai les cheveux… un peu longs. »

Beaucoup long, oui, mais elle n’allait pas en remettre une couche en insistant sur le fait que c’était sa faute si elle refusait de se couper les cheveux. Elle ne savait même pas trop pourquoi. Ils étaient surtout chiant, ces cheveux, mais… quelque part, comme elle était arrivée ainsi, alors elle espérait, d’une certain manière, que les garder longs permettrait un jour à quelqu’un de la reconnaître dans la rue, comme si ses cheveux faisaient autant partie de son identité que le reste d’elle. Alors oui, le bleu était une couleur très reconnaissable, surtout au naturel, et même si elle les avait teints, la couleur reviendrait avant la longueur, alors elle avait moins de mal à les teindre qu’à imaginer les couper. Mais du coup, elle mettait des baffes aux gens. Uhhhmmm.

« Bref ! J’essaie. D’être douée en mécanique. Je travaille dans un garage, c’est pour ça aussi que je rentre comme je veux, et y’a pas grand-chose d’autre qui me fascine qu’inventer tout ce qui peut être inventé. Alors une voile solaire ? Tu vends du rêve, Jimmy ! J’avoue, si tu ne m’avais pas proposé de venir avec toi, j’aurais peut-êêêêtre un peu forcé dans ce sens là aussi. Et si t’avais dit non, j’aurais travaillé sur ma propre voile solaire dans mon coin, parce que le projet m’intéresse ‘no matter what’. Mais à deux, on rigolera plus ! Si tu veux, tu peux me montrer ton surf, comme ça on brainstrom et je peux réfléchir un peu plus. Après on peut revenir comme on veut, il m’aime bien le gars de la casse et on pourra toujours dire que tu travailles avec moi, maintenant. »

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Les joues rougies par la réaction – logique – de Jim, Lola repartit en bafouillant sur le sujet qui les intéressait tous les deux. Ils n’étaient pas là pour parler de ses cheveux, et elle n’avait pas envie de l’entendre continuer à insinuer qu’elle l’avait fait exprès. Non, si ça avait été volontaire, elle aurait été plus loin, genre elle l’aurait étranglé avec sa tresse, un truc du genre… Pas le sujet, on a dit – et les cheveux ne sont pas faits pour ça.
Heureusement pour elle, il saisit la perche qu’elle lui tendait et les revoilà sur les bons rails. Il avait même l’air ravi de sa proposition, malgré ses bras croisés, et son enthousiasme retrouvé lui arracha un sourire ; il semblait avoir l’humeur aussi labile que la sienne et ce n’était pas forcément pour lui déplaire car elle n’avait pas l’habitude de croiser ce genre de personne. Les gens étaient souvent élevés dans la retenue, dans les mœurs, dans la complaisance… Dans tout ce qui rendait la société habitable, mais chiante à pleurer. Jim avait l’air doux et sincère, il n’en fallut pas plus à Lola pour décider qu’elle l’aimait bien. Et s’il se révélait être un sombre connard, elle se roulerait en boule dans son lit et elle pleurerait, ça ne changerait pas grand-chose à son quotidien.
Presque, elle préférerait avoir quelqu’un à détester le soir plutôt que d’angoisser seule des cauchemars qui viendraient la réveiller plus tard. S’inquiéter, c’est souffrir deux fois, pensait-elle souvent, mais elle n’arrivait jamais à appliquer cette manière de penser. L’angoisse revenait toujours lui mettre des petites baffes derrière la tête – quand elle ne la prenait pas à la gorge – quant elle pensait s’en être débarrassé. L’angoisse était immatérielle, quelqu’un à détester avait plus de corps. Elle détesterait quelqu’un d’autre que Jim, parce qu’il était trop rare de rencontrer quelqu’un de sa trempe : ils avaient le même âge – jeune – et la même tendance bizarre à traîner dans les casses quand ils auraient pu boire dans les bars ou se concentrer sur leurs études. Pour lui, elle acceptait de faire des efforts pour être moins bizarre, tout en espérant secrètement qu’elle pourrait continuer à être bizarre sans qu’il n’en soit gêné.

« Tu te compliques la vie, Jimmy. Prends mon numéro plutôt. »

Je sors un bout de papier et un style mâchouillé, griffonne mon numéro de téléphone et lui tend le papier.

« C’est plus pratique pour s’organiser. Imagine : je suis malade cette semaine, je ne vais pas au garage et toi, tu attends devant alors que je ne suis pas là. Et pompon sur la Garonne : il pleut. Bref, c’est pas ouf et c’est plein de failles comme plan. Sauf si t’as pas de téléphone ? »

Tout le monde n’a pas l’air fan des téléphones, ici. Genre ceux qui sont arrivés du Moyen-âge où la technologie se limitait à la roue et au monte-plat. Mais lui, il ne doit avoir aucun problème avec, non ? Genre, le mec construit une voile solaire, c’est pas deux cents grammes de verre fragile qui doivent l’effrayer. Il était ici pour désosser des voitures. Je crois en son téléphone.

« MAIS je suis curieuse tout de suite et je n’ai rien à faire, donc on peut aller voir le surf. Comme ça, tu peux me montrer le trou dans le portail. Mais il faut quand même que le gars de l’entrée me voit sortir, sinon il va appeler les flics s’il me trouve pas. Les crimes, les cadavres dans les coffres, tout ça tout ça. Et je veux pas qu’on croie que j’ai fini dans un coffre. Et s’il te voit sortir alors que t’es pas entré, on va cramer le trou. »

Qui sait. Sur une insomnie tenace, j’aurais peut-être envie de venir faire un tour discrètement. Autant ne pas compromettre ce passage secret. On finit par se séparer et je sors en faisant un signe de la main au proprio de la casse avant d’aller retrouver Jim.

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Ah, mais, euh… Jiiiim ? Tu veux pas me montrer où est le troudu grillage, à tout hasard, que je tourne pas comme une âme perdue autour de la casse ? Ça n’aurait pas l’air moins bizarre que de ne pas en sortir, tu sais ? Je le regarde disparaître entre deux voitures pour déduire que le trou doit être dans la direction générale de... par là. J’espère que ça suffira.
Je sors de la casse en adressant un signe de la main au gérant qui me regarde d’un air surpris.

« Tu as fait vite, aujourd’hui ! », s’étonne-t-il.

Mais il n’a pas l’air soupçonneux non plus, alors je tapote juste mon sac et répond assez spontanément :

« J’ai trouvé vite, à la prochaine. »

J’ai trouvé un Jim, ça compte ? Je l’ai pas mis dans mon sac parce qu’il ne rentrerait pas et que je n’aurais sans doute pas la force pour le porter, mais c’était pour faire semblant que j’ai ce que je cherchais. Du coin de l’œil, je le vois replonger sur un papier qui a l’air long et chiant, alors j’en profite pour longer le grillage sans être vue et retrouver Jim, qui m’attend et m’entraîne juste assez loin dans les bois pour ne pas être visible directement depuis la casse, tout en pouvant regarder vers l’extérieur du bois. Malin, le Jimmy. Je lève la tête pour observer la cabane. Encore plus malin de la mettre en hauteur, car au détour d’une promenade dans les bois, ce n’est pas tout le monde qui aurait le réflexe de lever les yeux. Il a pensé sa cabane comme un oiseau pense son nid, c’est presque mignon et certainement intelligent. Moins de perturbation, plus de mécanique. Le coin idéal pour se couper du reste du monde.
J’analyse son échelle de fortune et effleure le bois humide du bout des doigts. Ouais, ça doit pas mal glisser son bordel, mais on va faire genre d’être sûre de moi parce qu’il a déjà l’air d’être stressé pour deux. Comme depuis le début vous me direz. On va éviter une blague sur le fait que je vais tomber et me casser un bras, du coup. Sinon il va paniquer et pas me laisser monter dans sa cabane.

« T’inquiète, je gère à l’escalade. »

C’est faux, je n’ai jamais fait ça de ma vie. J’aurais bien envie d’essayer, ça ou le parkour. Pour le parkour, je crois je me ferais taper sur les doigts, parce qu’ils ont déjà vu ma tronche trop souvent aux urgences et que si je débarque en gueulant que ma nouvelle passion, c’est de risquer ma life en sautant de toit en toit, personne ne va kiffer l’idée, à l’hôpital. CEPENDANT, au fond, c’est pas mon problème, de ce qu’ils pensent. C’est déjà assez compliqué de faire ce que je pense pour pouvoir trop considérer les autres. Mes amis se comptent sur les doigts d’une main et les autres, j’m’en tape. Sauf par intérêt, mais ce n’est pas le sujet. Là, c’est le moment de prouver que je gère à l’escalade. Euh… on va y aller doucement. Je tapote la première planche humide et bancale du pied pour voir où je peux le poser sans glisser et sans l’arracher du tronc, puis commence à monter, progressivement. Doucement mais sûrement, on dira. Je manque de glisser une ou deux fois, mais grâce à mes muscles impressionnants – ils sont pas épais mais ils marchent bien, surtout dans les situations un peu flippantes comme ça, donc ils sont impressionnants, okay ? - je finis par me hisser à l’intérieur de son chez lui. Oui, je me doute qu’il n’habite pas là non plus, mais j’ai une théorie – je vous entends soupirer d’ici : arrêtez – qui veut que chez soi, ce n’est pas là où on habite, mais là où on se sent bien, là où on est en confiance, là où on est heureux. Autrement dit : je n’ai pas de chez-moi, parce qu’il y a toujours un truc qui déconne. Toujours. Ce n’est pas le moment d’y repenser. J’admire l’intérieur de la cabane encombrée avec des étoiles dans les yeux. C’est hyper mignon ? Tout plein de carcasses métalliques et d’outils qui traînent un peu partout avec au milieu, sans trop de place pour circuler autour, une ébauche du surf solaire. Dans l’illogisme qui régit l’endroit, j’ai l’impression que c’est en réalité parfaitement organisé, mais seulement dans l’esprit de Jim et cette idée me fait sourire. Comme quoi, il n’y a pas que la mécanique de commun entre nous. Je ne l’entends pas monter mais je suis bien obligée de me pousser comme je peux pour qu’il puisse entrer à son tour.

« T’as fait tout ça tout seul ? »

J’ai dans la voix la nuance d’une gamine qu’on a amené à Disney World – je détesterai, mais c’est l’ordre d’idée. D’admiration aussi, parce que… whaouh ?!

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